samedi 6 mai 2017

Le bonjour d'Alfred.

   En juin 1948, sur les lieux d'une perquisition effectuée au Mans, un inspecteur de police récupère le portrait d'un petit garçon. 
  Au dos de la photographie, on peut lire le cachet d'un photographe de Nevers. En suivant le fil de ce seul indice, l'équipe du commissaire Rochet, qui dirige à l'époque la Sureté de Nevers, remonte jusqu'à un certain Alfred Laugier, le père d'un petit Gérard, le bambin représenté sur la photo.

 Cet Alfred Laugier est le "patron" bien connu d'un  établissement de Varennes-Vauzelles: l'Auberge des Boulaizes . L'endroit jouit d'une bonne réputation,  l'homme est un trentenaire élégant et affable à la générosité  bien établie: il offre régulièrement  boissons et digestifs  à ses clients, et ne fait pas trop de façons si ceux-ci omettent de régler la note... Il se dit dans la région qu'il a commandé  en une seule fois 600 croissants à la meilleure boulangerie de Nevers...

L'ancienne auberge des Boulaizes en 2017, rue Louise Michel à Varennes-Vauzelles

    Il lui arrive aussi fréquemment de s'absenter et, pendant ce temps, c'est Marinette une jeune femme fort séduisante, qui gère le commerce, et s'occupe du fils du patron, le petit Gérard ....
  Ce dernier vient d'ailleurs d'être baptisé, le dimanche de Pâques.
  La cérémonie a donné lieu à une gigantesque fête: une trentaine de  tractions-avant et quelques voitures de luxe étrangères se sont  rendues vers midi à l'Auberge des Boulaizes, chargées de messieurs élégants et taciturnes accompagnés de dames bavardes portant force perles et bijoux.  Le fastueux repas servi aux invités s'est prolongé tard dans l'après-midi, puis jusque dans la nuit.

 Un musicien noir  séduisant a interprété plusieurs tubes du moment dont le plus applaudi a été celui  chanté par  Tino  Rossi en 1944: le Joyeux Bandit .
   C'est un joyeux bandit 
   Qui de rien ne s'alarme 
   Sa voix dans le maquis 
  Attendrit les gendarmes 
  Sa voix pleine de charme 
  Les prend et les désarme

   A l'aube tout ce beau monde est reparti.
  Monsieur Laugier lui même a  pris place dans sa Citroën  à côté d'un petit homme brun à l'air pas très commode: Matthieu, son chauffeur. Au bout de la rue, ils ont tourné à droite  sur la nationale 7 en direction de Paris.
   C'est donc sur ce personnage haut en couleur que tombe la Police. Mais quel est donc le lien entre cet homme apparemment sans histoire et  les malfrats du Mans chez qui on a retrouvé la photo du petit Gérard?
  D'investigations en filatures, de recoupements en vérifications, les enquêteurs  (dont fait partie le célèbre commissaire Borniche, alors simple inspecteur) tirent le fil  et finissent en quelques mois par identifier Laugier sous un autre nom, celui d'Auburtin, puis sous son  véritable patronyme: Alfred Aimar.

 Côté pile , monsieur  Laugier/ Auburtin gère son auberge à Varennes , que Laugier a acquise en utilisant une prête-nom, madame Periot. A Paris, Auburtin touche les dividendes  d'une affaire de décoration d'intérieur et d'un commerce de voitures d'occasion.

  Le côté face est moins reluisant...  Alfred Aimar ,né en 1914 à Vence, et surnommé Frédo le Bijoutier, est un gangster qui, depuis son jeune âge, compte  dans le Milieu de la Côte d'Azur.

 Pendant la guerre, il s'est acoquiné avec les services de renseignements allemands tout en menant sa propre barque dans le crime: en mars 1944 , revolver au poing, il braque  un dentiste niçois et subtilise ses liquidités et les bijoux de sa femme. Deux mois plus tard , en compagnie de Palmieri ,un complice italien , il se fait passer pour la police allemande, et pénètre chez  les époux Abdelkader  à Cannes, les assomme, les dévalise et les larde de 2 coups de couteau dans le dos.. Le butin, un million d'anciens francs, reste plutôt maigre, et les dépenses du malfrat si somptuaires...que tout est  bientôt à recommencer. A peine deux semaines plus tard , l'appartement de Mlle Mille à Nice est cambriolé pour  6 millions...
  A la Libération, Aimar se fait discret. Il  a été condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité par les assises des Alpes Maritimes  pour ses crimes commis en 1944,et doit vivre sur ses réserves, et des revenus des investissements  qu'il vient d'effectuer, notamment aux Boulaizes. 
 Las, faute sans doute d'une solide formation en comptabilité, ni le suivi des dépenses, ni la bonne gestion du patrimoine ne sont son point fort, et voilà notre Aimar contraint de replonger dans le banditisme.

 En juin 1948 avec Mathieu Costa - son "chauffeur"-  son gang s'attaque donc en gare du Mans à un wagon plein de titres de rationnement destinés aux départements de la Sarthe, de l'Orne et du Maine et Loire (de nos jours, il aurait sûrement tenté quelque chose avec des tickets-restaurants..). Mal lui en prend: la police veille... une ronde surprend une des voitures  qui attend la fin de l'opération pour évacuer les bandits: ses occupants s'enfuient et une fusillade éclate ente gendarmes et voleurs.

 La moitié des malfrats est arrêtée et, en fouillant les alentours, on retrouve  sept armes de gros calibre. Aimar peut s'échapper mais... tintin pour le butin.... Plus grave    il laisse dans l'appartement d'un de ses comparses la photo de son fils récemment baptisé. Un oubli, qui, on l'a vu,  lui sera fatal.

 Quelques mois après l'affire du Mans,   à Antibes, Aimar  feignant d'être blessé, se fait ouvrir de nuit les portes d'un commissariat, ... lui et un complice en profitent pour rafler, armes à la main, les  onze caisses de tickets de rationnement qui y sont entreposées. Le tout est chargé dans une camionnette qui s'évanouit dans la nature.   

 Entre chaque casse, Aimar/ Laugier se met au vert à Boulaizes, ou séjourne à Paris dans un appartement cossu rue des Plantes, dans le 14ème, sous son nom d'Auburtin.

  En décembre 1949 Aimar/Auburtin/Laugier est finalement appréhendé par l'équipe du commissaire Rochet et remis au commissaire Chenevier, de la Sureté Nationale en charge de l'enquête du Mans.

  Déja condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité, notre ex-aubergiste -comme il se doit-  nie tout ce dont on l'accuse, malgré l'abondance de preuves matérielles prouvant son implication .
 Cependant, à l'issue de sa garde à vue, quand les forces de l'ordre l'emmènent en cellule,  il finit par prononcer cette phrase pleine de bon sens:    "C'est peut être un peu tard, mais j'ai compris: décidément, le crime ne paie pas..." 

Aimar lors de son arrestation



L'Auberge des Boulaizes en 1950 , fermée après l'arrestation d'Alfred.


   En dépit de ces bonnes résolutions ...on reverra Alfred Aimar plus tard....
   Rejugé et condamné alors à 35 ans de prison,  il est libéré dans  les années 70, et comme il ne sait rien faire d'autre,  on le retrouve, dans sa région d'origine, comme membre de l'équipe  d'Albert Spaggiari  lors du célèbre "casse du siècle": celui de la société Générale de Nice, en 1976!

    On ne se refait pas...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire